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L'économie des robots : quelle place pour les humains ? - quelques pistes

12 Janvier 2015   (1728 mots)

Cet article est la seconde partie d’une analyse sur l’impact du développement technologique sur l’économie, et notamment sur le monde du travail, la question de fond étant : le développement des machines et des nouvelles technologies va-t-il priver les êtres humains d’emploi et remettre en cause leur modèle de développement. Cet article est consacré au diagnostic, le suivant, à venir, aux pistes de solution.

Dans la première partie, j’ai essayé de décrire la tendance de fonds autour des nouvelles technologies et de son impact sur le monde du travail, montrant que la tendance actuelle de substitution d’une partie des emplois par les robots ou les nouvelles technologies digitales avait peu de chance de s’inverser. Au contraire, il faut s’attendre à un élargissement de leur domaine d’action et donc à l’augmentation des catégories d’emplois impactées.

De manière synthétique, ce sont les fondamentaux de l’économie telle qu’on l’a connu au XXème siècle qui pourraient bien être remis en cause.

De nombreux romans ou films de science-fiction présentent un futur au sein duquel les hommes n’ont plus besoin de travailler, remplacer dans leurs tâches quotidiennes par des robots et autres ordinateurs. Mais même si on devait aller jusque-là à terme, le « comment ça marche » de l’économie associée est rarement décrite. Si plus personne n’a besoin de travailler, comment répartir les « capacités de consommation » (puisqu’on ne va plus dire salaire) ? Met-on en place des mécanismes de redistribution automatique ?

De manière plus pragmatique, comment éviter qu’une partie de la population ne se retrouve inemployable, faisant face à la concurrence pour le travail des ordinateurs et par suite exclus du système.

Soyons clairs : la réflexion sur le sujet n’a été qu’ébauchée. Mais quelques pistes valent la peine d’être explorées.

Fiction : le scenario du pire

Projetons-nous quelques instants en 2050, et envisageons le pire. Face à l’avancée des technologies, le nombre d’êtres humains travaillant a drastiquement réduits entre 2015 et 2040. Les gouvernements, n’ayant que trop peu anticipé, ont vu le taux de chômage durablement augmenter, et s’installer entre 20 et 30% de la population.

Dans les économies où l’intervention de l’État est forte, les systèmes de solidarité redistributifs se sont effondrés. L’assurance chômage, l’assurance maladie, la retraite par répartition n’ont pu remplir leur fonction, faute de financement. En effet, c’est bien le travail qui constituait la première ressource de ces systèmes : avec la réduction des cotisations et l’augmentation des besoins, le système n’a pas tenu le choc. Dans les économies anglo-saxonnes, la grande pauvreté s’est rapidement développée.

Dans tous les pays, l’appauvrissement de la population a généré de fortes tensions sociales, et une forte hausse de la criminalité. On a même vu le retour des bidonvilles et des zones de non-droits dans les principales villes de la planète.

Les « sachants », ceux qui continuent à tirer parti de la nouvelle économie ont vu leur patrimoine s’étendre, et leurs conditions de vie continuer à s’améliorer, contrairement à la majorité de la population. Pour se protéger, ils établissent maintenant des barrières entre leurs liens de résidence et de travail et ceux du reste de la population.

Le scenario décrit ici ressemble à beaucoup d’œuvre de Science-Fiction. Et même s’il est clair qu’il s’agit d’une vision extrême, il est tout simplement la prolongation des tendances décrites dans l’article précédent : augmentation des inégalités, émergence d’une catégorie de « sachants » et de « laissés pour compte », concentration de la richesse…

Refonder les bases de notre économie

Les deux enjeux principaux de l’économie du futur sont donc : comment garantir une employabilité maximale pour la population ? Comment fournir à chacun les moyens de vivre décemment ?

Même si le tableau pourrait ressembler à celui décrit par Marx au XIXème siècle, aucun auteur n’appelle aujourd’hui à la mise en place d’une économie socialiste. Il s’agit plutôt de refonder les principes de l’économie de marché, mais en s’appuyant par exemple sur les principes de John Rawls, le philosophe américain et auteur d’une Théorie de la justice dans laquelle il réfléchit sur le problème de la justice redistributive (comment assurer un développement économique favorable à tous).

A court terme, la formation

Pour lutter dans la course au travail avec les machines, il est critique pour les économies développées de renforcer la formation de la population. S’il est vrai que la mécanisation et l’automatisation gagne du terrain dans les emplois à valeur ajoutée, il n’en reste pas moins que ce sont les tâches plus répétitives, associées aux niveaux de formation les moins avancés, qui sont les plus menacés.

L’ensemble de métiers nécessitant la création de nouvelles idées ou concepts sont ceux qui conserveront le plus longtemps leur avance sur les traitements automatisés. Ce sont par ailleurs des domaines nécessitant souvent des études moyennes ou longues. Erik Brynjolfsonn et Andrew McAfee dans The Second Machine Age citent par exemple les scientifiques, les journalistes, les chefs cuisiniers, les ingénieurs, les professionnels du marketing Il apparaît donc important d’orienter les formations vers ces métiers.

Les États devraient chercher à renforcer le domaine de l’enseignement, primaire, secondaire et supérieur : amener tous les élèves à un niveau minimum de connaissance (cf. les 10 ou 15% d’élèves, en France, qui sortent du CM2 sans savoir correctement lire ou écrire), augmenter encore le nombre d’étudiants post-bac donnant lieu à une formation débouchant sur un emploi. Mais il faut aussi favoriser les compétences du futur, dès le plus jeune âge, et notamment la créativité, l’autonomie, le travail en groupe, la curiosité ou l’usage des nouvelles technologies bien sûr.

Avec l’augmentation critique de l’importance de l’enseignement dans le succès de l’économie, le poids pesant sur les enseignants eux-mêmes sera de plus en plus lourd. Il importe donc de mettre en place un recrutement de qualité, qui devra être associé dans de nombreux pays à une revalorisation salariale. En France, le salaire de débutant d’un professeur est de quelques centaines d’euros supérieur au salaire minimum. Quand on porte une telle responsabilité, est-ce raisonnable ? Ceci permettra aussi de relever le niveau du recrutement, qui face à la diminution de l’attractivité du métier est descendu à un niveau inquiétant.

Mais cela devra s’accompagner aussi, en profondeur, d’une refonte des pratiques pédagogiques pour les adapter aux besoins nouveaux de la société. Tous les systèmes d’enseignement ne sont pas prêts pour répondre à ces défis.

A long terme, un revenu universel

On l’a vu, une part croissante de la population se trouve exclue du marché du travail, face à la concurrence des robots. Si l’enseignement et la formation sont fondamentaux, il est peu probable que cela suffise dans cette course à l’emploi. Dans la situation pessimiste mais envisageable décrite plus haut, les progrès techniques et la croissance finirait par ne plus bénéficié qu’à une petite élite, tandis que le reste de la population pourrait se retrouver incapable de subvenir à ses besoins élémentaires. On aurait alors un système fondamentalement injuste, et donc l’instabilité sociale serait bien évidemment critique.

Face à cela, si on part du principe que les progrès et la croissance doive bénéficier à tous, la mise en place d’un revenu universel, à long terme, permettrait de s’assurer de limiter le nombre des laissés pour compte. Cette idée de Revenu minimum universel n’est pas nouvelle. Thomas More l’avait introduite en 1516 dans son roman Utopia, qui décrivait justement une société idéale et égalitaire

Ce système permettre répondre aux exigences de justice sociale. Rawls préconise ainsi, lors de la construction d’un contrat social (c’est-à-dire, ici, la construction du modèle économique) que l’ensemble des concepteurs se place derrière un « voile d’ignorance » : chacun devrait s’imaginer ne pas pouvoir connaître quelle sera sa place dans la société, investisseur, travailleur, chômeur, handicapé… L’idée est d’imposer la prise en compte individuelle de chaque type de situation, et de refuser de dire que globalement la société est satisfaisante donc il est possible de négliger quelques dommages collatéraux ne pouvant tirer leur épingle du jeu.

Bien entendu, ce revenu minimum serait suffisant pour vivre décemment, mais ne devrait pas constituer un frein à l’emploi, lorsqu’ils sont disponibles. Par ailleurs comme on l’a vu plus haut, il ne serait alors plus possible d’appuyer son financement sur le travail. Différents auteurs imaginent l’assoir sur les hauts revenus ou les profits entreprises. Mais on pourrait aussi le rapprocher de la taxe sur le capital imaginée par Thomas Piketty dans son livre Le Capital au XXIème siècle.

Pour contourner le problème de l’incitation au travail, Erik Brynjolfsonn et Andrew McAfee imagine un impôt sur le revenu négatif, comme le crédit d’impôt en France sur les travaux de rénovation d’une maison. Les foyers les moins aisés seraient ainsi éligibles à une compensation par l’État d’une partie de la différence entre leurs revenus et le revenu de référence. Ainsi si le revenu de référence fixé par l’état est de 3000 €, et si le foyer gagne 1500 €, alors l’État pourra couvrir 50% de la différence, soit ici 2250 €. Ceci permet de maintenir un niveau de revenu minimum (ici 1500 € tout compris), tout en incitant les membres du foyer à travailler.

Conclusion

Les robots et l’automatisation, on l’a vu, sont de nature à très profondément transformer la fonction de notre économie, et plus largement de notre société. Si le progrès qu’ils apportent est réel, il conviendra d’en comprendre les impacts, les anticiper et de proposer les réponses permettant à tous d’en tirer les fruits. Nul doute que de nouveaux luddistes ne manqueront pas de se manifester. Mais c’est bel et bien une nouvelle société que nous devons imaginer et inventer.

Quelques sources complémentaires :

Livres

  • Erik Brynjolfsson, Andrew McAfee (2014). The Second Machine Age
  • Thomas Piketty (2013). Le capital au XXIème siècle
  • Charles-Edouard Bouée (2014). Confucius et les automates

Articles de recherche

  • Jeffrey Sachs et Laurence Kotlikoff (2012). NBER : Smart Machines and Long Term Misery - http://www.nber.org/papers/w18629.pdf (payant)
  • Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne (2013). OMS : The Future of Employment : How Susceptible are Jobs to Computerization? - www.futuretech.ox.ac.uk/sites/futuretech.ox.ac.uk/files/TheFutureofEmploymentOMSWorkingPaper0.pdf

Articles en ligne

  • William H. Davidow et Michael S. Malone (2014). HBR : What Happens to Society When Robots Replace Workers? - https://hbr.org/2014/12/what-happens-to-society-when-robots-replace-workers/
  • Thomas Wells (2014). The Robot Economy and The Crisis of Capitalism - http://www.abc.net.au/religion/articles/2014/07/17/4048180.htm
  • W. Brian Arthur (2011). The second economy - http://www.mckinsey.com/insights/strategy/thesecondeconomy

Crédit photo : Steve Berry, CC BY-NC-SA 2.0


Publié dans les catégories économie  Tags économie  intelligence artificielle  robots  luddisme  travail  capitalisme